Personnages principaux du roman de Choderlos de Laclos « Les liaisons dangereuses » (et résumé)

Je profite de ce premier article (très général) pour transmettre quelques idées qui peuvent servir les étudiants qui travaillent le thème des concours CPGE scientifiques 2023-2024, comme le concept de « suspension consentie de l’incrédulité« .

Cet article sur Les liaisons dangereuses a pour fonction de faire le tour des protagonistes du récit (du grec πρωταγωνιστή, « qui joue le rôle principal », dans le théâtre grec antique). Ils ne sont pas très nombreux à être importants. Les autres personnages sont de second plan (Azolan, le valet de Valmont, le Père Anselme, Belleroche, Gercourt, Victoire, etc.). Ils servent principalement à rendre consistant le récit, en donnant le change aux protagonistes et, parfois, ils ajoutent de la vraisemblance au récit : c’est en particulier le cas de madame de Rosemonde, qui recueille en plusieurs « dons » toutes les lettres, ce qui permet à Laclos de faire croire (si c’était bien son intention, ce dont on peut douter) que l’ensemble aurait pu se passer réellement. Il est en tout cas toujours bon de donner l’impression au lecteur que ce qu’il lit aurait pu se passer. En narratologie (étude des techniques de narration), la diégèse, au sens logique, est l’ensemble des choses qui arrivent et sont racontées pour constituer un récit (à lire, à regarder, comme un film) et qui, selon une certaine logique et les implications que ces faits tissent entre eux qui font qu’on peut supposer vrai le récit, ce qui permet une « suspension momentanée de l’incrédulité » : ainsi, quand on va au cinéma, on accepte de « croire » que ce qu’on voit se dérouler sur l’écran se passe réellement, au moins pour en avoir pour son argent. En lisant les 175 lettres du roman de Laclos, on est crédule afin de prendre du plaisir à les lire. Il n’y a qu’en musique, me semble-t-il, que la diégèse est absente : la musique se donne entièrement dans l’exécution (il n’y a rien avant, ni après, rien de faux ou de vrai, d vraisemblable ou d’invraisemblable : le monde musical est un « monde à part »). Je ne suis pas un spécialiste de narratologie, et l’on contestera peut-être ma façon de parler de la diégétique (ce qui relève de la narration).

Voici les personnages principaux (dans l’ordre d’apparition, avec des citations de leur première lettre) :

Cécile Volanges (CV): jeune fille de 15 ans qui va quitter le couvent. Elle écrit à une camarade du couvent qu’on ne connaîtra pas, qui n’écrira aucune lettre. CV lui en écrira seulement onze, plutôt courtes et sans intérêt sauf pour la vraisemblance de l’intrigue .

Cette sorte de naissance rappelle celle de Jeanne dans le roman Une vie de Maupassant : Jeanne quitte le couvent à 17 ans, où elle ne retournera jamais, affrontant vaillamment la vie. Le début du roman est une naissance et la fin du roman est un accouchement. (symboliques bien sûr) Dans LLD, CV fait une fausse couche qui la fait retourner au couvent. Je donne ci-dessous les premières et les dernières phrases du roman (avec mes commentaires par parenthèse en italique ; pour gagner de la place, j’ai supprimé les alinéas). Lisez d’abord le texte, mes commentaires ensuite :

Début et fin du roman Une vie de Maupassant

Début « Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas. L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et chargé d’eau semblait crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre (1). Des rafales passaient pleines d’une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l’humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier. Jeanne, sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours, prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont elle rêvait depuis si longtemps (2), craignait que son père hésitât à partir si le temps ne s’éclaircissait pas ; et pour la centième fois depuis le matin elle interrogeait l’horizon (3). »

(1) cela fait penser à la perte des eaux. Trouvé sur un site destiné aux primigestes (première grossesse) et primipares (premier accouchement) : « Il y a peu de risques de passer à côté de la perte des eaux : quand la poche des eaux se rompt, les membranes craquent d’un seul coup et c’est près de 1,5 litre de liquide amniotique qui fuit subitement. Culotte et pantalon se retrouvent littéralement trempés. »

(2) Jeanne voit sa vie à venir comme un « roman intéressant » (Schopenhauer). Ruse de la nature, comme avec l’état amoureux… Elle déchantera (CV aussi)

(3) L’horizon représente le futur. L’horizon fait rêver, il montre quelque chose de vague au loin, ce qui embellit la vision. Le mot est trop « poétique » par lui-même pour être mis dans un poème. Rimbaud n’a pu s’en empêcher dans Bateau ivre (mais les images sont si originales qu’on lui pardonne cette faiblesse) :

« J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! »

Fin :

« Et Jeanne regardait droit devant elle en l’air (4), dans le ciel que coupait, comme des fusées, le vol cintré des hirondelles. Et soudain une tiédeur douce, une chaleur de vie traversant ses robes, gagna ses jambes, pénétra sa chair (5) ; c’était la chaleur du petit être qui dormait sur ses genoux .

Alors une émotion infinie l’envahit. Elle découvrit brusquement la figure de l’enfant qu’elle n’avait pas encore vue (6) : la fille de son fils. Et comme la frêle créature, frappée par la lumière vive, ouvrait ses yeux bleus en remuant la bouche, Jeanne se mit à l’embrasser furieusement, la soulevant dans ses bras, la criblant de baisers (7).

Mais Rosalie, contente et bourrue (8), l’arrêta. « Voyons, voyons, madame Jeanne, finissez ; vous allez la faire crier. »

Puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit  (9). »

(4) Une femme qui accouche est allongée et regarde donc en l’air.

(5) Description très proche de ce que ressent une femme qui est sur le point d’accoucher (évidemment, Maupassant ne pouvait pas dire « Jeanne écarta les jambes et vit apparaître la tête du bébé »…)

(6) L’émotion que ressent la mère en découvrant le visage de son bébé pour la première fois (et du père, je vous assure, même si ce n’est pas la même)

(7) L’émotion, qui n’est pas un sentiment, mais quelque chose qui pousse au mouvement (de movere, ébranler, mettre en mouvement), pousse parfois une mère à embrasser son bébé.

(8) Rosalie dit ici ce que dirait une sage-femme ou une infirmière qui en ont vu d’autres.

(9) C’est la leçon morale du roman, teinté du pessimisme de Maupassant nuancé par une sagesse toute stoïcienne.

Retour à CV : elle ne connaît rien de la vie sociale (ce qu’elle en connaîtra n’est que turpitudes). Elle symbolise donc une conscience native, l’innocence, qui représente un problème religieux, moral et philosophique depuis l’état adamique dans les trois religions monothéistes (Adam et Ève au jardin d’Eden qui goûtent du fruit de l’arbre de la connaissance, erreur (appelée péché) qui les transforme en êtres humains « pécheurs » : C’est une belle chose que l’innocence ; le malheur est seulement qu’elle sache si peu se préserver, et qu’elle se laisse si facilement séduire. » Kant

Son innocence, comme souvent, confine à une légère stupidité, ce qui fera d’elle la victime idéale des machinations qui vont la faire revenir à son point de départ. CV porte en elle quelques symptômes de cette légère stupidité : l’inconséquence (CV ne mesure pas où la conduisent ses « décisions », le manque de conscience réfléchie (qui vient de son innocence) qui l’empêche de douter de ses propres pensées ou sentiments, le conformisme (elle croit aveuglément Valmont et la Merteuil qui se jouent d’elle). CV n’est pas bête, car la bêtise, c’est encore autre chose : on la trouve chez des personnes très intelligentes, sur-diplômées( il y a un mystère de la bêtise).  On appelait ces jeunes filles des « oies blanches ». On peut leur faire croire presque n’importe quoi* (au prince charmant, à la morale, à l’amour, aux joies du mariage, voire aux plaisirs de la débauche…). Peu armée pour résister, elle croira que la débauche est aussi pour elle, ignorant qu’elle en est une victime passive et non active comme Valmont ou la Merteuil. Elle sera l’arme de la vengeance de celle-ci et l’objet de séduction de celui-là.

(* une formule me revient, de G.K. Chesterton, écrivain catholique et anglais du début du 20e siècle : « Quand un homme cesse de croire en Dieu, il ne croit pas en rien, il croit en n’importe quoi.« )

Cécile tombera amoureuse du chevalier Danceny, musicien, puis se laissera séduire et initier aux débauches sexuelles par Valmont, complice de la marquise de Merteuil. À la fin, Cécile retournera au couvent pour y devenir religieuse. Jusqu’au bout, elle est la victime « innocente » des machinations des deux personnages principaux cités ci-dessus. Aucune rédemption pour elle (sauf à croire que se faire religieuse en est une). Valmont et la Merteuil n’ont rien d’innocent, mais au moins, ils ne se réfugient pas hors de la vie sociale dans ces retraites hors de la vie que sont les couvents et les monastères. Lui mourra et elle disparaîtra en Hollande.

Cette première lettre est datée du 3 août 17** (la dernière est du 14 janvier 17** : l’action se déroule donc sur cinq mois et onze jours. C’est donc dense puisque relativement court pour l’ensemble des actions qui seront commises de la 1ère à la 175 ème lettre. Excellent article sur le temps dans LLD, qui en analyse les trois temporalités : https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1972-v8-n4-etudfr1707/036528ar.pdf

« J’ai une femme de chambre à moi je t’écris à un secrétaire très jolioù je peux renfermer tout ce que je veux. » (Lettre I) Le secrétaire est un meuble servant à écrire et à ranger les lettres, il symbolise monde épistolaire où l’on va évoluer. Elle se rêve donc déjà autonome, ignorant que cet état se gagne toujours de haute lutte, lutte qu’elle se révèlera incapable de mener (trop d’innocence, de stupidité, peut-être aussi de sottise, de bêtise, défaut d’éducation à la liberté, manque d’instruction, « carence neuronale » dirait-on aujourd’hui).

Marquise de Merteuil (MM) : personnage central, de loin le plus intéressant car toute sa personne est d’une grande ambiguïté.

MM est veuve, riche, elle peut s’offrir une existence « libertine » (pas au sens moderne ; tapez « libertin » sur internet et vous verrez apparaître des sites échangistes, etc.), c’est à dire qu’elle est capable de liberté de penser (de libertinus, esclave qui a été affranchi).

On peut voir en elle une ancêtre lointaine, voire le prototype de la féministe, mais aussi de la femme débauchée, d’une immoralité repoussante. 

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec tout le mal qu’on en dit : elle se bat avec rares armes dont elles dispose en ce crépuscule de la féodalité patriarcale : hypocrisie virtuose (elle joue en conscience son rôle dans la comédie humaine), haute intelligence, extrême lucidité.

Bien sûr, elle est marquée par la domination masculine qui la rend sans pitié, sans empathie, incapable de vivre un rapport humain (liaisons) digne de ce que notre espèce peut faire de mieux : respect, amitié, amour, sentiments désintéressés.

Elle est à la source de presque toutes les actions du roman : elle veut se venger de Germont (voir plus bas), ancien amant qui l’a repoussée.

Parlant à Valmont, MM l’instruit de son projet de vengeance et des moyens qu’elle y emploiera : « Vous servirez l’amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie* de plus à mettre dans vos Mémoires : oui, dans vos Mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire.**»

*du plus littéraire au plus familier : cautèle, matoiserie, fourberie, intrigue, malice, ruse, manège, stratagème, roublardise, combine, magouille… bref, tout ce qui est fait pour tromper.

** MM ne croit pas si bien dire : la publication des Lettres sonnera l’heure de sa mort sociale puisque ses manoeuvres jusqu’ici secrètes (le secret donne le pouvoir : il y a là un rapport avec les textes d’Hannah Arendt) seront dévoilées sur la place publique.

« Madame de Volanges marie sa fille (…). Et qui croyez-vous qu’elle ait choisi pour gendre ? Le comte de Gercourt. (…) J’en suis dans une fureur… Eh bien ! vous ne devinez pas encore ? oh ! l’esprit lourd ! (…) l’espoir de me venger rassérène mon âme. » (Lettre II)

Vicomte de Valmont (VV): second personnage central, dont l’intérêt réside aussi dans une ambiguïté de sa conduite : séduisant* Mme de Tourvel, aussi pieuse que belle, on dirait pourtant que vers la fin, il se mette à l’aimer, ce qui est contraire à ses règles de galant dont le passe-temps principal servant à combler leur vide existentiel consiste séduire des femmes (on dit « prédateur sexuel » aujourd’hui).

(* de ducere conduire, et se, idée de séparation, donc « faire quitter le chemin de rectitude »).

Beau comme MM est belle, et dont il a été l’amant, il sera le complice de sa vengeance. Cependant, dès le début, un désaccord surgit entre eux. VV trouve le projet de MM (séduire Cécile) trop modeste pour ses talents : « conquérir est notre destin ; il faut le suivre (…) Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille qui n’a rien vu, ne connaît rien ; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense ; qu’un premier hommage ne manquera pas d’enivrer, et que la curiosité mènera peut-être plus vite que l’amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n’en est pas ainsi de l’entreprise qui m’occupe. » (Lettre IV).

Ce que vise VV est plus difficile à réussir : « Vous connaissez le présidente Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères. Voilà ce que j’attaque ; voilà l’ennemi digne de moi ; voilà le but que je prétends atteindre. » (Lettre IV). VV voit dans cette conquête tout sauf de l’amour : de la compétition, de la séduction et du prestige pour grandir sa réputation de séducteur.

La présidente de Tourvel (PT) : le prototype de la femme prude, dévote, victime d’un ordre social qui marie les jeunes filles sans leur consentement.  Elle a 22 ans, et attend dans sa demeure à la campagne le retour de son mari (qui a au moins 10 ans de plus qu’elle, car il a été l’amant de MM) qui est absent. Elle prend sous son aile CV à la demande de sa mère, madame de Volanges. Sont donc réunies deux futures victimes de VV et de MM. Son esprit témoigne d’une candeur, d’une naïveté, d’un optimisme concernant la « nature humaine » (j’emploie cette expression passe-partout sans l’interroger, ce qui viendra dans l’analyse approfondie du roman et des intentions supposées de Laclos), candeur et optimisme qu’elle appliquera pour sa perte à VV (on voit souvent chez les autres ce qu’on croit être une caractéristique générale de l’humanité ; le pessimiste et le méchant verront le mal partout, l’optimiste et le gentil le bien partout (Wittgenstein fait remarquer dans le Tractatus logico-philosophicus, 1930que le monde de l’homme heureux n’est pas le même que le monde de l’homme malheureux ; à rapporte à « (se) faire croire ») : « Notre retraite est égayée par son neveu le vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaître davantage ; mais il me semble qu’il vaut mieux qu’elle. » (Lettre VIII). Elle paiera de sa vie ces caractéristiques de son caractère. Les deux seuls morts du récit sont la sienne et celle de VV, comme si leur amour irréalisé et irréalisable (du fait de l’époque) les condamnait tous deux à cette impasse.

Madame de Volanges (MV) : personnage secondaire, parente de MM, mère de Cécile. Dotée d’un esprit médiocre (elle mettra du temps à comprendre ce qui arrive à sa fille), mais armée de bon sens, elle commence par mettre en garde PT contre VV. Son jugement est sévère mais fidèle à la réalité : « Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui ? Vous ne connaissez pas cet homme ; où auriez-vous pris l’idée de l’âme d’un libertin ? Vous me parlez de sa rare candeur* : oh ! oui ; la candeur de Valmont doit être en effet très rare. Encore plus faux et dangereux qu’il n’est aimable et séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel. (…) si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son âge, blâmant sa conduite, je plaindrais sa personne (…). Mais Valmont n’est pas cela : sa conduite est le résultat de ses principes. » (Lettre IX, le début du passage est évidemment ironique).

(* qualité d’une personne innocente, d’une grande pureté de coeur, sans défiance, incapable de soupçon : PT en un mot)

En revanche, elle se trompe lourdement en affirmant : « Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir ; mais vos regards, purs comme votre âme, seraient souillés par de semblables tableaux : sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n’avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. » (Lettre IX – c’est moi qui souligne) Ce passage montre que la perspicacité de MV souffre d’une grande naïveté concernant la « nature humaine ». Si son diagnostic est presque entièrement vrai pour VV (puisqu’il il y aura le sentiment amoureux de VV pour PT vers la fin), il est en partie faux pour PT (puisqu’elle va céder aux avances de VV et l’aimera, sûrement jusqu’à sa mort).

Le Chevalier Danceny (CD) : jeune homme (20 ans) noble mais désargenté, Chevalier de l’Ordre de Malte, ordre religieux et hospitalier chrétien (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_de_Malte). Il donne des cours de chant et de harpe à CV, tombe amoureux d’elle. Elle aussi se laisse entraîner par se sentiment nouveau. MM va trahir leur idylle naissante en disant tout à la mère de Cécile (ça fait partie du plan de MM : la jeune fille tombera dans les bras de VV, et Danceny aura une liaison avec MM). On voit que presque tout le monde est corrompu dans ce monde de nantis d’avant la révolution française. Se sachant trahi par VV, Danceny se battra en duel et le tuera. Regrettant son acte, il retourne à Malte, renonçant définitivement à Cécile. Il a un côté un peu nigaud, que le ton de sa première lettre à Cécile montre : « Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j’ai besoin d’indulgence ; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire, après tout, que vous montrer votre ouvrage ? Et qu’ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et même mon silence ne vous aient dit avant moi ? Eh ! pourquoi vous fâcheriez-vous d’un sentiment que vous avez fait naître ? (…) Par vous je vais être éternellement heureux ou malheureux. » (Lettre XVII) Cette fin que je souligne est particulièrement bête : mettre tout son bonheur, ou tout son malheur en dehors de soi, c’est mettre le centre de gravité de sa vie hors de soi, ce qui est au mieux une bêtise, au pire une folie. Pire : se faire croire que notre existence entière dépend d’une seule personne et de ses caprices est extrêmement dangereux, en plus de stupide.

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Après ces six personnages (madame de Volanges est déjà un personnage secondaire), il faut attendre la lettre LXXXVI pour rencontrer un nouveau personnage, qui n’existe aussi que pour la vraisemblance de cet échange de lettres : la Maréchale, amie de MM. Elle y dit une chose que je trouve drôle :  « est-il possible que ce petit Prévan fasse de pareilles abominations ? Et encore vis-à-vis de vous ! A quoi on est exposé ! on ne sera donc plus en sûreté chez soi ? En vérité, ces événements-là consolent d’être vieille» (Lettre LXXXVI, dans laquelle elle dit son effarement d’apprendre que Prévan, un autre séducteur, est piégé et ridiculisé par MM ; la Maréchale peut vouloir signifier par là que la jeunesse présente est pire que celle qu’elle a connue (antienne bien connue : « c’était mieux avant ») ; ou qu’une telle aventure ne peut plus lui arriver, à elle qui est trop vieille pour encore être poursuivie par un séducteur).

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Résumé du roman (tiré de Wikipédia, que j’ai modifié ; les sous-titres de ce résumé ne figurent pas dans le roman).

Les deux défis

La marquise de Merteuil demande à son ami, complice et ancien amant, le vicomte de Valmont, de déniaiser sa jeune cousine Cécile Volanges, avant son mariage pour se venger du comte de Gercourt, le futur mari de Cécile (ce comte a laissé tomber la Merteuil).

Le vicomte de Valmont refuse amicalement la demande, car il a un défi d’une autre envergure à relever : séduire une jeune femme fidèle et pieuse, éloignée temporairement de son mari : la présidente de Tourvel. Valmont la fréquente régulièrement au château de madame de Rosemonde, la tante de Valmont, très âgée, où la Tourvel attend son mari

La Merteuil ne renonce pas pour autant à son projet. Elle remarque que le chevalier Danceny, jeune homme qui fréquente la maison des Volanges, s’est épris de la jeune Cécile. La marquise prend pour dessein de libérer les mœurs des deux tourtereaux afin d’accélérer leur rapprochement en devenant la confidente de Cécile.

Valmont réussit à charmer un peu la Tourvel malgré la mauvaise réputation qu’elle lui connaît. Madame de Volanges, la mère de Cécile, grande amie de la Tourvel, la met en garde contre Valmont.

Ce dernier et la Merteuil se taquinent l’un l’autre par écrit sur leurs conquêtes et objectifs respectifs. La marquise de Merteuil prétend que Valmont est en train de tomber amoureux et Valmont prétend que la marquise rend son amant, le chevalier Belleroche, plus heureux qu’elle-même. La marquise promet à Valmont qu’elle se donnera à lui quand la Tourvel aura succombé à ses charmes.

Valmont poursuit son entreprise de séduction la Tourvel en se repentant fictivement de sa conduite passée. Il organise des fourberies pour se faire bien voir dont celle d’offrir des pièces d’or à une famille de pauvres paysans. La Tourvel croit qu’elle a un effet vertueux sur Valmont, ce qui la rend amoureuse, tout en luttant contre ce penchant qui contredit ses choix fondamentaux.

Valmont déclare son amour à la Tourvel. Elle le repousse et tente de s’écarter de lui. Elle lui demande de quitter le château. Celui-ci voit qu’elle est émue. Il apprend que madame de Volanges conseille à la Tourvel de se méfier de lui. Il va lui vouer alors une rancune qui va le décider à séduire sa fille Cécile.

Le retour du vicomte à Paris

Sur le chemin de Paris, Valmont écrit une lettre d’amour à la Tourvel. La présidente, tout en le repoussant, rentre dans son jeu en lui répondant (ce qui arrange l’état amoureux qu’elle feint de nier).

La Merteuil manipule Danceny et Cécile en étant leur confidente à tous deux, mais elle peine à les faire consommer leur amour, car ils sont prudes et novices en matière d’amour. Elle continue d’être l’amante et l’amie de Danceny. Elle envisage de faire de Cécile une débauchée comme elle. Les deux femmes ont un moment charnel ambigu. La Merteuil demande à Valmont de l’aider à convaincre Danceny d’être plus entreprenant envers Cécile. Le vicomte accepte, il rencontre Danceny, devient son ami, mais Danceny reste timide et le projet de les « unir » reste au point mort.

Valmont conseille à la Merteuil de faire obstacle pour exciter le désir des deux amoureux. La marquise suit le conseil et dénonce secrètement à madame de Volanges l’amour naissant entre sa fille et Danceny. Elle l’incite à éloigner sa fille en l’envoyant chez madame de Rosemonde pour que Valmont puisse revoir la Tourvel, et qu’il serve de confident et passeur de courrier entre les deux amoureux.

Au cours d’une soirée, Valmont est témoin du pari de Monsieur Prévan, séducteur réputé, prétendant qu’il arrivera à conquérir la marquise de Merteuil dont il soutient que la vertu (elle a réussi à garder cette réputation) est exagérée. Valmont en avertit la Merteuil pour la mettre en garde contre Prévan.

La dépravation de Cécile Volanges

Valmont retourne au château de sa tante madame de Rosemonde, où sont arrivées madame de Volanges et sa fille. Il entreprend de nouveau la présidente de Tourvel, et remet à Cécile les lettres de Danceny, ce dernier ayant enjoint à son amoureuse de faire confiance à Valmont et de lui remettre ses lettres pour la protéger.

Piquée par des remarques de Valmont sur l’intérêt qu’elle porte à Prévan, la marquise de Merteuil expose au vicomte dans une lettre la supériorité qu’elle a sur lui ; c’est la fameuse lettre 81, avec ce que je crois être une des plus profondes phrases du livre : »on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer« . Nietzsche, un siècle plus tard, dira la même chose (je n’ai pas retrouvé l’endroit) : « la première condition pour devenir fort, c’est d’en avoir besoin« . On trouve aussi : « Comment devient-on plus fort ? – Se décider lentement et tenir avec opiniâtreté à tout ce que l’on a décidé. Tout le reste s’ensuit. » Nietzsche, La Volonté de Puissance, §454. Le même Nietzsche, ennemi déclaré de la morale, surtout chrétienne, écrit ensuite : « De quoi pâtit-on le plus douloureusement ? De son humilité. » Cela trace une ligne de partage entre les personnages principaux : le manque total d’humilité chez la Merteuil, partiel chez Valmont, qui l’acquiert à la fin ; et sa présence chez la Cécile qui entre au couvent et surtout chez la Tourvel, du début à la fin du livre.

Elle explique avoir peaufiné son hypocrisie (qui vient d’un mot grec signifiant comédien) depuis sa jeunesse : elle dit être « née pour venger (son) sexe et maîtriser le (sien – elle écrit à Valmont) « . Comme femme, elle doit conserver une réputation de vertu, les hommes pouvant rendre publiques leurs conquêtes amoureuses.

La Merteuil organise un guet-apens pour se jouer de Prévan. La marquise racontera cette histoire sous deux versions, une version authentique au vicomte de Valmont, et une version faussée à madame de Volanges, version qui lui donne le beau rôle.

Au château de madame de Rosemonde, Valmont demande l’aide de Cécile pour faire un double de la clé de sa chambre au prétexte que c’est nécessaire pour lui remettre les lettres de Danceny et le rencontrer.

Le double fabriqué, Valmont s’introduit par surprise la nuit dans la chambre de Cécile. Il commence par la convaincre de ne pas appeler au secours sans quoi il ferait rejeter la faute sur elle à cause de la clé, puis réussit à abuser d’elle sans se faire repousser. La nuit suivante, elle empêche Valmont d’entrer dans sa chambre en la fermant de l’intérieur.

Le lendemain, voyant sa fille souffrante et pensant que cela vient de ce qu’elle ne voit plus son chevalier Danceny, madame de Volanges songe à défaire la promesse de mariage avec M. de Gercourt, afin de laisser sa fille libre de choisir son mari. La mère se confie par lettre à la Merteuil ; cette dernière tente de l’en dissuader.

Cécile se confie à la Merteuil à propos de son malheur avec Valmont. La Merteuil l’encourage à prendre Valmont pour amant en attendant la venue de Danceny.

Cécile ouvre sa porte à Valmont et leurs rapports reprennent. Suivant les conseils de Valmont et Merteuil, elle se laisse débaucher par Valmont. Lui et la Merteuil se réjouissent de l’effet que cela produira lors de la première nuit avec son futur mari, M. de Gercourt.

La capitulation de madame de Tourvel

Pendant ce même temps, la séduction de la Tourvel par Valmont progresse. Elle lutte toujours contre ses sentiments et décide de quitter le château. Furieux de ce départ, par dépit et par amour, Valmont engage son chasseur pour espionner la Tourvel, ce qui lui permet d’apprendre que cette dernière est malade d’amour pour lui.

La Merteuil tente de convaincre Valmont d’abandonner son projet avec la Tourvel et de rentrer à Paris. Mais le vicomte continue de faire le siège du coeur de la Tourvel. Il fait croire à sa tante qu’il est malade d’amour et prêt à expier toutes ses fautes, sachant qu’elle tient au courant la présidente de Tourvel. Par l’entremise d’un prêtre, il réussit à obtenir une entrevue avec la présidente. Elle accepte, croyant qu’il est venu lui rendre ses lettres de correspondance avec la Tourvel avant de s’en éloigner pour toujours.

Lors de sa rencontre avec la Tourvel, Valmont lui annonce qu’il se compte se suicidera si elle n’accepte pas de se donner à lui. Comme il fait mine de partir mettre son projet à exécution, elle s’évanouit dans ses bras. Après quelques moments de discussion tendre, elle se donne à lui. Valmont avoue à la Merteuil avoir de l’amour pour cette femme.

La résolution du pacte

Valmont rappelle à la marquise sa promesse de se donner à lui en cas de conquête de la présidente de Tourvel. Elle consent malgré le manque de preuves écrites, mais elle doit faire patienter Valmont car elle se trouve en province pour une affaire judiciaire.

La Merteuil lui demande de rompre avec la présidente en continuant à être l’amant de Cécile. Elle se moque de son amour pour la Tourvel, qui lui fera perdre sa réputation de séducteur et l’exposera au ridicule. Valmont reprend sa relation avec Cécile, mais n’arrive pas à rompre avec la Tourvel.

La marquise de Merteuil lui suggère alors un texte de rupture, fait de justifications absurdes et blessantes qui se concluent à chaque fois par « Ce n’est pas ma faute« . Le vicomte en adresse une copie à la Tourvel qui se retire au couvent.

Valmont continue sa relation avec Cécile qui fait une fausse couche. Sa mère accepte que le Danceny vienne rendre visite à sa fille.

Valmont veut reconquérir la Tourvel, par orgueil dit-il, tandis que la Marquise dit qu’il est amoureux sans se l’avouer. Le vicomte se prépare à laisser Cécile dans les bras de Danceny et à consommer le prix de sa victoire avec la Merteuil, qui lui avoue alors avoir dirigé les actions de Valmont pour que la rupture avec la Tourvel soit définitive. La Merteuil est froissée que Valmont ait placé la Tourvel au-dessus d’elle. La Merteuil propose à Valmont de faire un enfant illégitime à Cécile pour renforcer leur vengeance commune envers Gercourt et madame de Volanges.

Au couvent, la Tourvel perd la santé physique et psychologique. Elle reçoit une lettre de Valmont mais la rejette en hurlant.

Le ton monte entre les deux complices. Valmont somme la Merteuil d’honorer sa promesse de se donner à lui, sans quoi ce serait une déclaration de guerre. La marquise lui répond : « Hé bien ! la guerre. »

Les deux combats de la marquise

À partir de là tout s’enchaîne rapidement. Valmont force la main de Cécile pour écrire une lettre à Danceny lui proposant une entrevue. Le but est de blesser la marquise en amenant le jeune chevalier à la délaisser. Cela réussit et Valmont se vante de sa manœuvre.

Danceny est mis au courant de la tromperie de Valmont, on ne sait comment, probablement par la marquise. Ilr provoque alors le vicomte en duel à l’épée. Lors du duel, Valmont est touché. Avant de mourir, il se confie à Danceny à propos de la Merteuil, et lui remet la correspondance de la Merteuil.

La Tourvel, apprenant la mort de Valmont, prie pour son pardon et décède le soir même. Apprenant le double décès, madame de Volanges remet à madame de Rosemonde, tante de Valmont, les lettres écrites entre elle et la Tourvel.

De son côté, Danceny, indigné par le contenu des lettres qu’il a reçues de Valmont, les rend publiques. Paris découvre alors les mœurs et les agissements de la Merteuil, qui s’enfuit.

Danceny apprend que madame de Rosemonde compte le poursuivre pour la mort de Valmont, son neveu. Pour sa défense, Danceny remet à la vieille dame toutes les lettres données par Valmont, puis quitte discrètement Paris pour échapper aux soucis et se soustraire à la justice.

Madame de Rosemonde souhaite ranger cette histoire sous scellé. Danceny accepte de lui remettre sa correspondance avec Cécile. Le lecteur comprend ainsi comment toutes les lettres du roman se retrouvent rassemblées en une seule main.

Cécile se réfugie d’elle-même au couvent avec le souhait de se faire religieuse. Danceny renonce donc à l’épouser et part pour Malte.

Les rumeurs sur la conduite de la Merteuil se répandent. Une fois revenue à Paris, elle est huée en public dans les salons. Le lendemain elle tombe gravement malade : la petite vérole (nom ancien de la variole, du latin varius, tacheté, changeant ; la syphilis était appelée la grande vérole) qui la défigure. Elle perd sa fortune à cause du procès évoqué dans sa correspondance avec Valmont, qu’elle comptait gagner grâce à ses appuis. La marquise disparaît, peut-être en Hollande, alors à la fin de son « siècle d’or » (richesse économique, rayonnement culturel, puissance militaire, institutions assez démocratiques procurant une grande liberté de moeurs aux gens autant de raisons pour MM de partir là-bas pour y « refaire sa vie »).


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